JANVIER 2017

7 janvier 2017

 «  Dans la plénitude du temps : Savoir perdre du temps pour gagner le temps  »

Combien devons-nous apprendre d’Israël et de l’ancienne alliance  ! Saint Paul nous avertissait déjà dans la lettre aux Romains. Si les chrétiens venus des nations que nous sommes oublions l’ancienne souche d’Israël, nous risquons de vivre notre sagesse de façon fragmentaire... Et c’est souvent ce qui nous arrive  ! Un des problèmes principaux de notre temps est le manque de temps.

L’efficacité dans la vie professionnelle, la compétitivité comme facteur essentiel pour percevoir notre propre valeur ou celle des autres, et la performance dans tous les domaines comme critère de réussite, font que notre rapport au temps n’est pas ajusté. Il est même souvent profondément dispersé. Même dans la vie de l’Eglise on trouve ce type de problèmes, combien de prêtres font des burn-out que quelqu’un a appelé la maladie du don de soi  ?

Il y a quelques années Jean Vanier nous alertait sur l’importance de percevoir notre propre valeur et celle des autres en la fondant non pas sur la performance mais sur quelque chose de plus profond, l’être et non l’avoir. Il racontait qu’Éric, le premier porteur d’handicap avec lequel il avait commencé une communauté de vie, lui apprenait à dépasser ses appréhensions qui venaient justement de l’angoisse insupportable de se voir «  non performant  ». Dans la vie du chrétien ou du prêtre que nous sommes ce changement de perspective n’est pas toujours acquis. Loin de là. Et pourtant c’est un des noyaux de la bonne nouvelle de l’évangile que nous devrions creuser profondément pour se faire du bien et pour «  faire du bien  ». Ce temps en a besoin plus que jamais.

Dans l’ancienne alliance une des clés structurantes du rapport à Dieu était le sabbat. Je mesure de plus en plus l’importance de cet élément pour notre rapport au temps. Ma réflexion a beaucoup évolué sur ce sujet grâce au rabbin américain Jacob Neusner, qui, dans son livre «  Un rabbin parle avec Jésus  » déclare que l’unique raison qui l’a empêché de devenir chrétien est la façon dont Jésus semblait bannir le sabbat (il faisait les miracles en sabbat pour provoquer les juifs. En effet, pour Israël le sabbat est spécialement une journée dédiée à «  perdre du temps  » pour mieux assimiler que Le peuple élu est la prunelle des yeux de son Dieu. Perdre du temps pour «  réaliser  » que ce que nous avons fait Lui plait. L’épouse/qahal prend du temps pour se découvrir dans les émerveillements de Dieu pour elle. Neusner disait : «  je ne peux pas suivre Jésus en ce chemin  ». Juste là il m’est venu à l’esprit une lumière merveilleuse : le Christ ne voulait pas abolir le sabbat mais l’accomplir. Son accomplissement coïncidait avec les miracles qu’il réalisait. Il guérissait les hommes à l’intérieur de son acte de «  fiançailles -réciprocité amoureuse-  » avec son Dieu.
En faisant la joie du Père (Is 53, Is 62), il aimait de ce même amour les hommes. Accomplir là le sabbat c’est prendre du temps (perdre du temps "effectif"), pour vivre la vie en accueillant la valeur de notre vie aux yeux de Dieu. Cette valeur qu’elle a déjà. Le mystère Pascal en est le sommet. Il nous a aimés et Il se livre pour nous en permanence, mais il y a peu de gens qui «  perdent  » du temps à accueillir ainsi les grâces de Dieu.

Combien de membres de l’Eglise se sentent mal payés parce qu’ils n’ont pas la reconnaissance due à leur don d’eux-mêmes  ? Les burn-out viennent là. Le problème n’est pas en tout ce qu’il faut faire ( il est clair que tout ne peut pas être pleinement accompli par notre pauvreté de créatures) mais en vue de quoi ou de qui on le fait. Rechercher la reconnaissance dans la productivité ou la performance ou dans la reconnaissance des autres et non dans le fait d’être agréables à Dieu... La vraie valeur fondée sur l’être, seul Dieu peut nous la donner, si nous osons être Ses Interlocuteurs. Elle est la meilleure part, celle que personne ne peut nous enlever. Elle donne le vrai repos au cœur fatigué.

Cette perte de temps en silence, le temps de Le « laisser venir », de Le laisser nous dire que nos offrandes lui plaisent, que le Père voit en nous l’offrande de son Fils, n’est pas une perte temps. Elle est la clé pour vivre dans le présent la dimension éternelle. Le merveilleux échange dont parle la liturgie de Noel. Avec une petite nuance (en réalité énorme), qui est qu’avec l’assimilation progressive du fait que nous sommes la cause de la joie de Dieu, notre présent n’est plus jamais du temps inutile. Il devient « réalisations durables », qui traversent le temps tandis que nous coopérons avec Dieu pour hâter la venue du Royaume. Gagner le Temps qui ne se perd pas. Le plus petit et le plus caché de nos actes, vécu pour Dieu, est fécond pour toujours.

L’école de l’ancienne alliance nous est donc nécessaire pour sortir d’une vision de la réussite fondée sur la performance et pour entrer dans l’échange avec Dieu qui valorise la valeur essentielle. Notre vie n’est vraiment féconde que dans le face à face avec Lui, Quand mon cœur perçoit Sa passion pour moi, et prend conscience du fait que je suis aimé plus que personne par mon Dieu. Oser aspirer à ce que nous méritons devant Dieu, ce pour quoi Il nous attire afin que nous puissions recevoir plus que ce dont nous avons besoin  ! Que ce début de l’année nous permette de mettre notre vécu du temps à l’école de Jesus, le Seigneur du Temps.

P. Paco Esplugues, curé