Juin 2014

8 juin 2014

Le « duende »espagnol et l’esprit de la Pentecôte.

Une conversation avec Serge Barbuscia (directeur du Theatre du Balcon d’Avignon, alors que nous nous sommes rencontrés au début du temps pascal, a suscité en moi l’idée de mettre en rapport le « duende » (figure de l’inspiration artistique andalouse, décrite magistralement par le célèbre poète et dramaturgue Federico Garcia Lorca) avec le climat du temps de Pâques et du don du Saint Esprit : les rencontres avec le Ressuscité ont suscité un puissant élan de vie chez les personnes qui les ont vécues. Aujourd’hui, cette rencontre, suscite-t-elle encore un tel élan ? Avec la question implicite : Pouvons-nous, des hommes et des femmes de notre temps, ouvrir à notre tour la porte du cœur des hommes ? ou le « duende » s’est-il exténué ?

Le mot "duende" en espagnol, désigne à la fois une sorte de petit lutin, un chardon d’Andalousie et avant tout, l’esprit mystérieux, le charme qui se dégage du flamenco. Il est par exemple fréquent de dire de telle danseuse qu’elle « a du duende ». Le mot est donc quasiment intraduisible, le vocable français le plus proche, mais toutefois extrêmement réducteur, serait sans doute envoûtement. Cet insaisissable "duende" s’incarne plus volontiers dans les arts liés au mouvement, et donc au temps. Il fait partie du génie de l’Espagne, et on ne peut pas l’assimiler aux figures proches de la "muse" en Allemagne ou de l’"ange" en Italie.

Car la différence centrale selon Garcia Lorca, réside dans le rapport à la mort. La "muse" et l’"ange" ont peur de la mort, ou bien la chantent avec des « larmes de glace », alors que le "duende" la cherche, et ne s’approche d’elle que s’il la sent aux alentours, ce qui tiendrait spécifiquement de l’art ibérique. Alors une pensée nous effleure l’esprit : Comme c’est triste mais en même temps commun, de s’approcher de la résurrection avec la « peur de la mort » ou les « larmes de glace », ou alors avec les raisons cartésiennes qui simulent mal notre médiocrité.

Le "duende" aime le bord de la plaie et s’approche des endroits où les formes se mêlent en une aspiration qui dépasse leur expression visible. Cela fait penser à un vers de Saint Jean de la Croix : « Les profondes cavernes du sentir » (« Las profundas cavernas del sentido ») ; je trouve que ce vers comporte un peu ce qu’évoque le "duende" : l’expérience des sens, le surgissement intérieur, l’aspect envoutant, l’aspect plus riche aussi qui se tourne vers la mort… pour la dépasser dans l’amour.

Les experts diront que le « duende » fait plus souvent référence à l’interprétation de l’acteur qu’à l’inspiration de l’auteur. C’est cet état présent qui fait entrer dans la même synergie le créateur et l’interprète jusqu’au point d’introduire le spectateur qui devient alors interlocuteur dans un même mouvement. Dans le cas de la résurrection que chaque baptisé devrait rayonner, le jeu de l’interprétation revient aux baptisés. Quand Nietzsche cherchait des chrétiens ressuscités et qu’il n’en trouvait pas, il cherchait en fait, des hommes dont l’interprétation avait du « duende ». Est-il possible de trouver des résonances dans notre cœur dans lesquelles la mort est envisagée, avec l’Esprit du ressuscité, c’est-à-dire, dans l’amour qui donne la vie ?

La liturgie des derniers dimanches nous a parlé de Celui qui "entre par la porte" et qui "n’escalade pas par les remparts". Elle nous a parlé des brebis qui entendent sa voix, qui est celle du Bon Berger. En écoutant ces paroles, mon esprit m’a mené au cœur du "duende andalous", dans une interprétation qui fait envisager la vie en la donnant pleinement, tout en regardant la mort en face, parce que engloutie dans l’Amour. "Entrer par la porte" n’équivalait-il pas pour le Christ à montrer les plaies de sa mort, le jour même de la résurrection ? Cela ne sera-t-il pas aujourd’hui un appel à ce qu’il y ait des « interprètes/témoins » avec le "duende" du Ressuscité ? Des interprètes qui sans trop d’explications éveillent l’essentiel de l’amour de Pâques ? Le sommet de l’art pour qu’il soit un vrai serviteur de la vérité, ne devrait-il pas transmettre l’amour plus grand que la mort, qui donne la vie pour ces amis ? Il-y-aura-t-il aujourd’hui des chrétiens avec le "duende" de Pâques ?
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P. Paco Esplugues, curé
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