Mars 2019 : « Un carême à la hauteur des temps qui courent... »

17 mars 2019

Le Carême peut-il être centré sur la privation de chocolat ? Est-ce vraiment la seule bonne réponse à la souffrance du Corps du Christ que nous vivons actuellement ?

La lecture attentive de la Lettre au Peuple de Dieu du pape François nous fait découvrir un plan de guérison à vivre précisément, centré sur le Corps du Christ :

C’est le même Christ que nous recevons dans le sacrement de l’autel et que nous adorons, le même qui a vécu sa passion aux mains des prêtres en Palestine et le même que nous formons comme membres de son Corps aujourd’hui. En prendre une réelle conscience implique qu’en tant que baptisés, nous vivions le sacrement de l’Eucharistie avec toute la force qu’il mérite.

François nous invite à répondre aux enjeux d’aujourd’hui en rejoignant un point de maturité qui est la sainteté des membres en relation théologale. C’est la sainteté de nos relations entre tous qui apparaît comme pierre de touche de la réponse aux défis du moment.

Pour comprendre le sens de sa lettre, il serait aussi nécessaire de se donner comme programme de lire et apprivoiser son exhortation apostolique Gaudete et Exultate, à laquelle il nous renvoie. Il s’agit d’un vrai projet de sainteté relationnel par trop méconnu. Mais évidemment lire ne suffit pas, il est aussi indispensable de commencer à pratiquer, de façon consciente, les chemins qui mènent à cette sainteté relationnelle. En les vivant, dit le pape, le Ressuscité suscitera les dons de sa victoire sur toute corruption, à la hauteur des circonstances du moment.

Pendant la récente retraite diocésaine à Paray le Monial, aux sources du Sacré Cœur, je me suis souvenu de ce qu’a dit Jésus à Thérèse Couderc : « Une eucharistie a le pouvoir de transformer un million de mondes, mais il manque des âmes capables de prendre au sérieux le don chaste de l’Époux et de se livrer, de s’abandonner entièrement à Lui par amour ». Non pas en se comportant comme des salariés subalternes avec un patron, ou comme l’aîné de la parabole du fils prodigue qui rejette son père et son frère, Lc 15, mais en faisant siens les membres du corps du Christ. Jn 10, Jn 17,10. La sainteté des relations peut permettre d’assainir les eaux de la Mer de l’Araba (mer des eaux corrompues).

Durant cette retraite, j’avoue que je n’ai eu que des confirmations et des éclairages extraordinaires venant de la part du Seigneur. Ce n’est pas avec des recettes mais dans une pratique humble et persévérante de tous les baptisés conscients de cette sainteté relationnelle que la victoire du Ressuscité fera de cette crise un vrai tremplin vers une Église, signe attirant de la plénitude de l’Amour incarnée pour les hommes.

Pour mieux comprendre les chemins dont parle François pour atteindre cette sainteté relationnelle, Gaudete Exultate nous invite à approfondir les béatitudes en les pratiquant personnellement pour revitaliser ainsi la sainteté que Dieu nous invite à vivre aujourd’hui. La pierre de touche de cette sainteté personnelle et relationnelle est la capacité de reconnaître et traiter le Christ dans l’autre. Mt 25,40, (« Ce que vous avez fait à l’un de ce ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait  »). Le vivre, non comme un commandement imposé mais en acquérant progressivement le cœur compatissant du Christ envers nos prochains.

Ce sont les chemins de la vraie chasteté, maturité de relations nouvelles jaillies de Pâques. A condition de bien le comprendre, on voit bien pourquoi le pape propose ce chemin en ce moment de la vie de l’Église. En effet, si on reste dans une lecture sociologique (tendance très actuelle) indiquant la sortie du cléricalisme et une espèce de nouveau partage du « gâteau du pouvoir » comme solution, on abonde dans le même sens. Le cléricalisme, les luttes de pouvoir et la corruption sexuelle sont tous les conséquences et non des causes de cette crise, qui est plus profonde. Seul l’amour eucharistique de l’Époux qui comble le cœur et qui me fait « faire mien par amour » chaque homme, engendre les vraies guérisons.

Effectivement c’est la chasteté au cœur des béatitudes, vertu relationnelle charnière qui, pratiquée en de vraies relations théologales, permet d’offrir une vraie réponse à la maladie actuelle du corps du Christ. Dans notre culture, la chasteté n’est pas une joie, mais une frustration qui empoisonne le développement de l’amour. Or la vraie chasteté n’est pas un refoulement mais le débordement d‘amour d’un cœur qui permet que les relations soient profondément vraies. C’est la vertu de l’épanouissement des relations. Si le Carême a un sens cette année, c’est justement celui d’oser humblement entrer dans la prière, dans l’immersion dans le Christ et dans le partage de la vie théologale (reconnaître et traiter le Christ dans l’autre). Nous pourrons ainsi donner à la demande de François dans sa Lettre au peuple de Dieu, une réponse à la hauteur de l’enjeu.

Les clés de ce partage théologal sont décrites dans la lettre apostolique de Jean Paul II, Novo Millenio Ineunte 43, (que cite le pape François) : il s’agit d’un programme concret de spiritualité de communion, fondé sur le Corps du Christ et sur le « mystère de la Trinité qui habite en nous et dont la lumière doit aussi être perçue sur le visage des frères qui sont à nos côtés ». Je vois en ce programme les lignes de force que je voudrais proposer à tous les chrétiens de notre paroisse. Les apprivoiser personnellement et commencer à pratiquer avec d’autres frères de la paroisse des échanges de vie et de foi pour un apprentissage de la sainteté relationnelle, fondée sur ces axes. Il s’agit d’offrir vraiment au Seigneur la meilleure des coopérations pour que l’Esprit renouvelle la face de l’Église.

Il y a déjà des « foyers de lumière » qui sont nés cette année dans notre paroisse et je voudrais les proposer à tous ceux qui le veulent, comme pratique de Carême. Ce n’est pas l’unique façon d’aborder la sainteté relationnelle, mais c’est une pratique qui sans doute nous aidera à vivre toute relation en Christ. C’est essentiel. L’expérience est tellement riche que plus qu’un « carême », ce sera une pâque en avance. En vivant et en offrant à d’autres ce parcours concret de sainteté relationnelle notre Carême ne nous laissera pas sombrer dans le pessimisme distillé à l’écoute des médias, ni ignorants de ce qui se passe, mais armés pour un combat contre le Mal, qui attaque si fortement mais dont nous sommes vainqueurs.

Bon Carême !

Paco Esplugues, curé