Mai 2017 : « Echafaudages à Saint Jacques de Compostelle »

1er mai 2017

Notre pèlerinage à Saint Jacques s’est terminé. Enfin descendus sur la place de l’Obradoiro, chantant la joie d’être arrivés : «  Il a donné sa vie pour nous  » et prêts à entrer par le "Portico de La Gloria" comme tant de pèlerins l’ont fait dans l’histoire : François d’Assise, Jean Paul II, mère Teresa…, ce fut, hélas, impossible  ! Un échafaudage impressionnant couvrait toute la façade. Impossible d’accomplir le geste pour lequel, nous étions partis de Nice, 7 ans plus tôt.

C’était comme si l’apôtre Jacques s’adressait directement à nous à ce moment précis de notre histoire... pour nous rappeler que le but du pèlerinage n’est pas lui, Jacques, le fils du tonnerre, mais un chantier. Notre chantier. Celui de poursuivre comme lui, la mission d’incarner l’évangile dans notre culture et dans notre société française. La légende dit que Jacques en Espagne était découragé par la dureté de cœur des espagnols et que seule la Vierge qui vivait encore à Ephèse avec son frère Jean, l’avait encouragé à se remettre à nouveau au chantier. Un indicateur  ?

«  En marche, vers où  ?  » Le programme nous a été donné lors de la bénédiction de Pâques. Car, une fois le pèlerinage de Carême achevé, nous ne sommes pas invités à nous arrêter comme si on avait atteint le but, mais à «  Suivre les pas du Ressuscité  ». La place de l’Obradoiro n’est pas la fin, mais le début d’un chantier. Beau chantier. Leçon comprise. Apprivoiser la merveille de Pâques se fait aussi en marche. Vers la Galilée. A Pâques, le Seigneur est devenu une seule et indivisible personne avec chacun de nous. Nous le "réalisons" en route, comme les disciples d’Emmaüs «  en camino  », eux aussi.

Le Randonneur qui les accompagnait avait une conscience beaucoup plus profonde qu’eux du sens de leur route. Leur intention était d’arriver à Emmaüs pour se réfugier. Le pessimisme les anéantissait. Ils trouvaient insuffisants les programmes de la présidentielle et par voie de conséquence étaient tristes. «  On nous promettait le paradis mais on va de mal en pis  ». L’un des deux, appelé Cléophas, avait l’air de dire «  En marche, oui, mais vers où  ?  » L’autre disait «  remettons de l’ordre, Oui, mais lequel  ?  ». En fait tous les deux semblent prisonniers de pensées à courtes vues.

Le Randonneur voulait justement les amener plus loin. Il leur expliquait que c’est à un niveau plus profond de la réalité que la force de construction de la société se réalise. Puisqu’Il «  est devenu plus intime à nous que nous-mêmes  », les sacrifices qu’implique l’esprit de responsabilité, transfigurent nos forces. Puisqu’Il nous ressuscite avec Lui, un ordre fondé sur le dessein de Dieu, fait de nous des membres actifs et responsables de la construction de tous (Ep 4,11-16). A cette profondeur les cœurs des disciples brûlaient parce qu’ils touchaient la vérité. Le chantier divin/humain du Corps du Christ unifiait leurs personnes et les nôtres, comme celles de tant d’autres dans l’histoire…

Du coup, l’échafaudage devenait plus que lumineux. Le Randonneur me donnait ses derniers éclairages. Il faut sortir du schéma messianique demandant au président de la République ce qu’il est incapable de donner. Il faut cesser de rêver qu’en arrivant à la place de l’Obradoiro ou au Palais de l’Elysée, tout est accompli. C’est dans le chantier intégral d’être « en marche » vers le Royaume, c’est dans l’apprivoisement de la « tradition » sacrée jaillie de la Pâque, que se construit vraiment la personne, que se forment les minorités créatives responsables de l’ensemble. Alors on perçoit le Ressuscité à l’œuvre. Une lumière nouvelle m’atteignait.

Ne pas pouvoir voter, puisqu’étranger, m’épargne les problèmes de conscience de tant de concitoyens ces jours- ci. Mais en même temps cet empêchement libère mon esprit pour une responsabilité plus belle et plus grande, hors du mirage de finir le pèlerinage en arrivant sur la place, ou en choisissant un président. La responsabilité citoyenne n’est pas uniquement et heureusement, une élection mais un chantier quotidien d’investissement généreux pour l’éducation, pour la formation, pour les pauvres, pour l’assainissement des moteurs intérieurs. En route on trouve le Randonneur, Marie, et l’énergie d’un Esprit plus terre à terre et plus impliqué avec les hommes que ce que l’on pense souvent. C’est cette unification en chantier que je vous invite à vivre. Évidemment cela ne nous dispense pas de voter, mais elle donne à cet acte l’importance relative qu’il a. C’est à une profondeur beaucoup plus grande et dans un élan beaucoup plus soutenu et quotidien que le grand enjeu se joue. Saint Jacques me l’a confirmé quand plus tard je lui ai donné «  l’abrazo  »  ! Cela personne ne nous en empêchait… Personne ne nous empêchera non plus, de chercher la vraie fortune, dans l’adoration du Corps du Christ (en Avignon, chapelle de l’Oratoire), ou «  au clair de la lune au Sacré Cœur de Montmartre le soir  ».

P. Paco Esplugues, curé