Dieu, sauve t-il la raison ?

6 janvier 2014

La sagesse chrétienne peut-elle permettre à l’Université de devenir plus « elle-même » ? 

En 2000, lors de la Ire Journée Européenne des Universitaires (Moscou-Rome), Jean-Paul II a donné au monde universitaire européen une icône, Maria Sedes Sapientiae (photo),
réalisée en mosaïque par le P. Rupnik, s. i., un artiste d’origine
slovène.

La valeur signifiante de ce geste et de cette icône est très
profonde. La personne de Marie dans sa relation à Jésus révèle la
profondeur de la sagesse humaine dans la « relation personnelle » à la
Sagesse Divine. La mosaïque montre la fragmentation et la pluralité
toutes deux porteuses d’une articulation profonde. Ce don aux
Universitaires en dit long sur la grande préoccupation du Pape pour que
l’Université réponde pleinement à sa vocation de construction de la
personne et la société d’aujourd’hui.

En
effet les Institutions académiques sont un lieu significatif de
l’élaboration des dynamismes culturels par leur « pluralité articulée »,
dans l’horizon d’une définition concrète de l’identité européenne et de
son apport significatif à la parfaite et juste édification du 
« village global » de l’humanité.

La
perspective humaniste qui caractérise la foi chrétienne constitue
l’horizon adéquat d’un tel défi et une référence sûre pour tous ceux qui
consacrent leurs énergies et leurs pensées à l’Université. Elle peut
aider à former des personnalités solides, de vrais protagonistes et
 serviteurs de la vie civile et sociale. Dans ce sens les dernières
paroles de Benoît XVI dans son discours « non prononcé » à l’Université
de la Sapienza de Rome sont très significatives : 

"Qu’est-ce
que le Pape a à faire ou à dire à l’université ? Assurément, il ne doit
pas tenter d’imposer aux autres de manière autoritaire la foi, qui peut
seulement être donnée en liberté. Au-delà de son ministère de pasteur
dans l’Église et sur la base de la nature intrinsèque de ce ministère
pastoral, il est de son devoir de maintenir vive la sensibilité pour la
vérité ; inviter toujours à nouveau la raison à se mettre à la recherche
du vrai, du bien, de Dieu et, sur ce chemin, la solliciter à découvrir
les lumières utiles apparues au fil de l’histoire de la foi chrétienne
et à percevoir ainsi Jésus Christ comme la lumière qui éclaire
l’histoire et aide à trouver le chemin vers l’avenir
"[1]

La
recherche de la vérité dans la liberté, qui est le propre du travail
universitaire est loin d’être entravée par la foi : c’est justement par
les "lumières utiles venant de l’histoire de la foi" qu’elle
peut se développer pleinement, non d’une façon appauvrie par différents
positivismes ou éclatée sans cohérence. Les différentes branches du
savoir peuvent être assemblées dans « la mosaïque » d’une sagesse
personnelle et interpersonnelle qui tout en gardant leur juste autonomie
s’unifient dans la construction de la personne !

Ainsi
un apport essentiel apparaît dans l’exigence de réorienter
l’institution universitaire vers son inspiration éducative originelle.
La fragmentation du savoir et une culture qui tend à le réduire à un
simple instrument appauvrissent l’Université et rabaissent son niveau.
Ainsi Benoît XVI dit : 

"Le
danger pour le monde occidental – pour ne parler que de celui-ci – est
aujourd’hui que l’homme, justement en considération de la grandeur de
son savoir et de son pouvoir, baisse les bras face à la question de la
vérité. Et cela signifie que dans le même temps la raison, en fin de
compte, se plie face à la pression des intérêts et à l’attraction de
l’utilité, contrainte de la reconnaître comme critère ultime. Du point
de vue de la structure de l’université, il existe un danger que la
philosophie, ne se sentant plus en mesure de remplir son véritable
devoir, se dégrade en positivisme ; que la théologie avec son message
adressé à la raison, soit confinée dans la sphère privée d’un groupe
plus ou moins grand. Toutefois, si la raison – inquiète de sa pureté
présumée – devient sourde au grand message qui lui vient de la foi
chrétienne et de sa sagesse, elle se dessèche comme un arbre dont les
racines n’atteignent plus les eaux qui lui donnent la vie. Elle perd le
courage de la vérité et, ainsi, ne grandit plus, mais devient plus
petite. Appliquée à notre culture européenne, cela signifie : si elle
veut seulement se construire sur la base du cercle de ses propres
argumentations et de ce qui à un moment donné la convainc et – inquiète
de sa laïcité – si elle se détache des racines qui lui ont donné vie,
alors, elle ne devient pas plus raisonnable et plus pure, mais elle se
décompose et se brise
".[2] 

C’est
pour cela qu’il est nécessaire d’adopter une attitude objective et
positive dans la transmission de la connaissance c’est-à-dire qu’il n’y
ait ni amalgame ni dérobade dans la référence de la raison humaine à la
vérité. Lorsque l’on pose les fondamentaux dont on ne peut se passer,
ceux qui caractérisent l’ auto-conscience réflexive de l’homme et qui
ouvrent l’horizon de la connaissance, alors on affirme que la culture
n’est pas réduite au pragmatisme utilitariste et qu’au centre doit
rester l’homme, avec sa dignité et ses exigences.

La
foi chrétienne réaffirme la position centrale, personnaliste et
authentiquement humaniste de la culture. Aucun renouvellement n’est
possible sur un plan historique et social s’il n’est pas précédé,
soutenu et motivé par une profonde conversion personnelle. Elle seule
garantit l’authenticité, préserve des masques opportunistes et rend
capable de gratuité, sceau des maîtres de vie. « On ne voit bien qu’avec les yeux du cœur », disait Pierre Benoît dans sa conférence au Forum Universitaire du 1er mars à la Salle du conclave du Palais des Papes à l’occasion de la VIe Journée Européenne des Universités

C’est
sur cette ligne que l’Université est confrontée à des temps nouveaux
 et des problématiques nouvelles en acceptant de se rencontrer
elle-même. La dimension culturelle constitutive de la foi est ici
interpellée afin de fournir un apport spécifique, dans le service, à une
Université qui répond pleinement à sa vocation. La Sagesse de la foi a
le caractère d’une dignité culturelle qualifiée dans le sens de Rawls
comme le dit Benoît XVI dans son discours à la Sapienza. Et plus encore,
poursuit le pape : "Elle est une force purificatrice pour la raison elle-même, q u’elle aide à être toujours davantage elle-même".[3]

Le
discours de Ratisbonne souligne aussi l’importance de cette Sagesse des
religions qui pour le pape est l’unique façon de pouvoir vivre un
dialogue pluriculturel raisonnablement fondé qui puisse dépasser les
violences qui traversent « le village global ». Une Université qui se
laisse pénétrer par l’aide de cette Sagesse des religions peut aussi
trouver et offrir l’espace raisonnable d’un dialogue vraiment fécond qui
désamorce le climat de « guerre des civilisations » lesquelles menacent
notre monde, et dont nous sommes témoins au cours de ces dernières
années.[4]

L’icône de Maria Sedes Sapientiae
a présidé notre forum universitaire "L’espérance ne déçoit pas" au
Palais des Papes et à la Métropole Notre Dame des Doms. Quelle richesse
se cachait dans ce don de Jean Paul II prolongée d’une façon effective
dans le magistère universitaire de Benoît XVI. Dans cette Université de
700 ans aux origines de la Renaissance, on pressentait l’aurore d’une
nouvelle Renaissance. Celle d’un nouvel apport de la Sagesse chrétienne
personnelle à la construction de « l’unité du genre humain ». Avec Marie
les deux ailes de l’esprit humain, raison et foi, s’élèvent pour
construire la civilisation de l’Amour. Université arrosée par les
fleuves de la foi, Universalité garantie par une raison purifiée de
l’égocentrisme. Nouvelle Évangélisation fondée sur le vrai respect de la
liberté de l’autre, parce que fondée dans le Tout Autre. Quelle
merveille !


 Isabel Velasco Zamarreno

__________________

[1] S. S. Benoît XVI, La raison invitée à rechercher la vérité. Discours à l’Université « Sapienza » – Rome, Téqui, Paris 2008, pp. 20-21. Discours qu’ont reçu tous les participants au Forum du 1er mars.

[2] Ibid, p. 19

[3] Ibid, p. 18

[4] A. Glucksmann in AAVV, Dio salvi la ragione, Cantagalli, Siena 2007 p. 112-113. Ce
livre est d’une lecture très recommandable puisqu’il inclut le discours
de Benoît XVI à Ratisbonne et l’apport de divers auteurs universitaires
musulmans, juifs, chrétiens et autres sur l’importance de la Sagesse
religieuse dans l’université actuelle pour un pluralisme fécond. Dieu
sauve la raison. 


Source : Eglise d’Avignon n. 38 (10308)