Tribune ouverte : « Les signes du temps »

27 février 2017

Temps ordinaire du milieu de l’hiver, climat irrégulier, chaud et froid, tempêtes.. On y perd un peu le fil des saisons qui sont nos repères habituels, à travers les cultures et les paysages  ; labours, semailles et germination, floraison et moisson  ; Tout change sans mouvement apparent  !
Pour moi, c’est un peu comme la partition d’une musique dans laquelle même la mort trouve sa place à travers les images de la végétation qui hiberne.

Tout alors prend apparemment sa place comme un accompagnement de notre vie : le lever et le coucher du soleil, le bruit de la pluie la nuit sur les tuiles, le blanc de la neige, les feuilles mortes et la lumière à travers les nuages, la brume du matin, le fil des jours  !
Pourtant, comme un signe nouveau de ce temps, quelque chose me met mal à l’aise et suscite une inquiétude. Comme si, dans un ciel relativement calme, apparaissait loin sur l’horizon, l’annonce d’un cataclysme, reprise sans cesse dans nos medias et conversations,… tout va mal, on va dans le mur, tous pourris, à bas le système  !

J’ai été intéressé, comme en contre point, par la course autour du monde en solitaire, le Vendée globe, dans laquelle une trentaine d’hommes affrontent une navigation dans les mers les plus dangereuses.

«  Ils levèrent l’ancre et se mirent à côtoyer la Crète, mais bientôt, venant de l’île, se déchaîna un vent d’ouragan nommé Euraquilon. Le navire fut entraîné et ne put tenir tête au vent.  ». Act.27,13

Ces voyages risqués d’hier ou d’aujourd’hui, ont toujours été une belle métaphore de la vie, du courage, de la ténacité qu’il faut pour tracer une route et parvenir à son terme.
Ces navigateurs y sont, bien sûr, seuls et ne peuvent compter que sur eux-mêmes, mais ils sont aussi accompagnés par toute une équipe à terre et par la haute technologie des bateaux, des équipements de prévision météo, de communication, de repérage. Une sécurité qui permet les plus grands défis
Dans nos vies aussi, considérées comme de longs voyages, nous avons à affronter des situations difficiles et savons faire appel à des ressources personnelles qui parfois nous surprennent. Mais avons-nous, comme les navigateurs solitaires cette confiance en nous-mêmes et en ce qui nous entoure  ; cercle d’amis, ou d’associations, de réflexions, mais aussi tout ce que nos sociétés développées nous offrent par le biais de la culture, de l’information , des savoirs partagés, de la facilité des déplacements…  ?
Et si s’annonce un coup de vent, ai-je tout mis de mon côté pour y faire face  ? Dans quel état est mon bateau  ? Puis-je compter sur lui, sur moi  ?
Nos sociétés aujourd’hui ont à affronter, je le crains, à l’échelle de la planète, de grands bouleversements tant naturels que sociaux et culturels  ! Le soc de la charrue est puissant, brutal et douloureux, il soulève, divise et émiette nos valeurs et nos croyances : la solidarité entre les peuples, par exemple, éclate sous les coups du Brexit, de l’isolationnisme américain, des doutes de l’Europe, l’hospitalité, sous les coups de la quasi-faillite des politiques migratoires, la justice, sous les coups du diktat de l’Argent.
 Plus qu’une tempête, c’est une humanité qui perdrait la tête et son sens  ?

«  Nous le savons bien, la création toute entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore.  » Rom.8.23

Et si l’on parle d’enfantement, le climat pré-électoral loin de clarifier l’horizon, l’obscurcit et rend difficiles des choix qui paraissaient évidents : protéger la Nature et sa diversité, ses climats et ses paysages, faire tout pour que les activités humaines s’y insèrent sans prédation ni destruction irréversible, faire tout pour que les inégalités tant locales que mondiales s’effacent peu a peu au bénéfice d’une fraternité à laquelle chacun aspire.
Le choix politique ne devient-il alors qu’un moment de vérité nécessaire, mettant au jour nos peurs, nos fragilités et les vrais obstacles à notre maturité, l’infantile besoin du «  tout pour moi, tout de suite  » comme si j’étais seul  ?

« Que la terre s’entrouvre pour que mûrisse le bonheur » Isaie 45.8

Heureusement, quelques grands rassemblements publics rendent évident le contraire et nous nous sentons alors, soudés, solidaires, proches comme lors des défilés «  Charlie  » ou plus récemment dans les grandes manifestations citoyennes en Roumanie.
Les signes de notre temps sont très contradictoires mais c’est à moi d’en discerner le sens, d’y trouver mon orientation.
Ce n’est pas nouveau, et les grands personnages bibliques se sont construits dans ces situations –là. : Je pense à Jonas, qui, au départ, n’avait rien d’un homme politique et pourtant a «  retourné «  en un clin d’œil une grande ville comme Ninive (l’actuelle Mossoul  !)
C’est qu’il avait affronté le séjour dans le ventre de la baleine, et avait appris ce que rentrer en lui-même et changer de cap voulait dire  !

«  Jonas sortit de la ville à l’Orient, il se fit une hutte et s’assit dessous, à l’ombre, pour voir ce qui arriverait de la ville.
Alors YHWH fit qu’il y eut un ricin qui grandit au-dessus de Jonas afin de donner de l’ombre à sa tête et le délivrer ainsi de son mal.  »
Jonas 5,5-6

Et son mal, comme le nôtre, c’est de ne pas savoir se diriger.
Puissions-nous, comme lui, mettre notre tête à l’ombre et ne pas nous disperser pour retrouver en nous les ressources qui y sont cachées  ?

«  Ce qui frappe la coquille de l’huître ne blesse pas la perle  »
Jallal Al Dîn Rûmi

Marc Henry-Baudot
En collaboration étroite
Avec Michou
15/12/2016