Dimanche 18 janvier

19 février 2015


2e dimanche du temps ordinaire
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P. Paco Esplugues.


Lectures.

  • Lecture du premier livre de Samuel (1S 3, 3b-10.19).
  • Psaume 39.
  • Première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (1Co 6, 13b-15a.17-20).
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 1,35-42.

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Pour les spécialistes de l’Evangile de St Jean, le texte que nous venons de proclamer se trouve dans le passage où Jean parle de la semaine originelle, c’est-à-dire de la nouvelle Genèse. De même que le Seigneur a créé le monde en 7 jours, de même, après la venue de Jésus sur Terre, et surtout le commencement de sa vie publique, St Jean parle d’une semaine de la Nouvelle Création ; semaine au milieu de laquelle se situe cet échange, qui n’est pas simplement symbolique, mais qui renvoie profondément à ce que le Seigneur nous a déjà accordé par notre baptême. Le baptême nous a donné beaucoup plus que ce dont nous en jouissons, et il est très intéressant de commencer l’année liturgique en nous en rendant compte, afin de mieux accueillir et de mieux savourer, la force de ce que l’Evangile veut nous donner.

Dans cette rencontre entre Jésus et les disciples de Jean Baptiste, est résumé en trois phrases le noyau d’un Evangile que nous avons le droit de toucher de près. Tout d’abord, il nous montre que le Seigneur prend au sérieux nos recherches les plus profondes ; s’en rendre compte est une très bonne nouvelle. Le Seigneur dit « Que cherchez-vous ? ». Les disciples répondent : « Où demeures-tu ? » « Demeurez en moi comme moi je demeure en vous ». Puisqu’il s’agit au fond de répondre à ces questions : que fait le Seigneur dans notre chair et dans notre humanité ? Que reçoit-on exactement en recevant la communion ? A quoi cela sert-il de recevoir Dieu dans notre corps ? Est-il vrai que Dieu le Créateur habite ma chair et mon humanité ? Cela fait-il une différence par rapport à ceux qui ne L’ont pas ? Ces questions sont très importantes, elles sont loin d’être banales, et elles sont également loin d’être assimilées dans notre christianisme d’aujourd’hui.

En fait dans la lettre aux Corinthiens que nous venons de proclamer, au premier abord on peut avoir tendance à comprendre seulement que St Paul nous dit « faites un peu attention à votre façon de vivre votre sexualité, parce que ça ne va pas. » Et cela n’est pas faut mais il est surtout en train d’illuminer, par ce dont il a l’expérience, ce que le Seigneur fait dans notre corps. Car nous pouvons recevoir le Christ comme de l’extérieur : je suis la carcasse dans laquelle Dieu entre. Donc je suis temple de Dieu. Mais être temple de Dieu sans aucune implication entre ce Dieu qui vient dans ma chair et mon humanité, mes sentiments, ma psychologie, ma sexualité, et mon rapport à l’autre, si c’est pour que Dieu soit là sans aucune relation avec toute ma réalité, alors bon… 

Elisabeth de la Trinité le disait d’une façon incroyable « Seigneur que je ne te laisse pas seul en moi ». Parce que le Seigneur peut être en moi, et je peux le laisser tout seul, et si c’est ça le christianisme alors il n’apporte rien au monde. Mais est-ce vraiment ce que le Seigneur veut et fait quand il vient dans ma chair ? Que signifie « le Seigneur demeure en moi » et quel est le sens de « Je suis sanctuaire de Dieu » ? Dans le christianisme, au IV siècle, beaucoup de gens se sont posé ces questions, y compris des hérétiques qui pensaient tout simplement, ce fut l’objet du concile d’Ephèse, que Jésus était le verbe de Dieu qui était en Marie comme dans un temple, sans aucune implication. Et cette compréhension des choses est une hérésie. Pourquoi ? Parce que chaque fois que le Seigneur est dans mon humanité et que je le laisse sans aucune relation avec ma chair et avec ce que je suis, je L’empêche de déployer toute la puissance de Son amour dans mon être. Et je peux rester simplement avec une morale : essayer de me débrouiller le mieux possible, ne pas me fâcher avec les autres, et ne pas riposter immédiatement aux gens qui m’en veulent. Mais, est-ce cela le christianisme ? St Paul dit une phrase qui m’a percuté ce matin et qui m’a accompagné dans toute ma prière. Il dit bien sûr que nous sommes pour le Seigneur, mais il ajoute la réciproque de cette phrase, et il faut en réaliser toute la force : il dit que le Seigneur est pour le corps. Réalisons-nous ce que nous dit St Paul ? Le Seigneur est pour le corps. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire infiniment plus que « le Seigneur est avec nous », infiniment plus que « le Seigneur est en nous », comme dans un temple. Cela veut dire que le Seigneur ne vit que –c’est très fort, Dieu ne vit que- pour déployer mon corps autrement, selon ce qu’Il a prévu depuis la création du monde. D’accord, Il a du travail ! Mais Il n’a que ça comme objectif : le Seigneur est pour mon corps.

Je m’attarde sur ce point parce qu’il y a dans l’Evangile de St Jean une phrase qui nous dit que Jésus, juste après avoir été condamné par Pilate, sortit, prit Sa croix « Eaouto » « εαντώ » : en Grec « Eaouto » « εαντώ » signifie « comme le plus intime à soi-même ». Pourquoi ? Parce que Sa croix c’est moi. Et Il se donne pour que je ne reste pas avec une chair épidermique totalement prisonnière des vieilles chimères qui ne me rassasient pas même si je pense n’avoir pas d’autre solution que de les vivre, et pour que je puisse découvrir la merveille d’un Dieu qui prend au sérieux le fait que ma chair et mon humanité puissent commencer à vivre le mystère pour lesquels elle ont été créées : pour le don, pour le regard pur sur l’autre, pour l’espérance, pour le pardon, pour ne pas mettre des remparts dans les rapports à l’autre, pour ne pas avoir peur. Combien la peur empêche la communion de se développer ! Et le Seigneur considère comme le plus intime à Lui-même de s’investir avec tout Son être pour que ma chair ne soit pas perçue comme une entrave, mais comme un temple qui s’épanouit progressivement selon les mystères du Seigneur. Je vous dis qu’une prière qui laisse de l’espace à ce dont st Paul nous parle, n’en reste absolument pas au niveau de savoir si moralement j’ai perdu la tête un jour ou non, ou si ma sexualité a perdu un boulon ou non. Le Seigneur est en train de me dire quelque chose de beaucoup plus riche et de beaucoup plus profond : Il me dit que je suis investi par Lui pour déployer pleinement mon corps et mon humanité, de la manière dont Le Père l’avait voulu depuis le commencement. Mais il faut un cœur qui librement écoute, parce que le Christ ne devient pas une seule chair avec moi d’une façon automatique, ou oui, Il le devient, mais sans un échange de fiancés je ne réaliserai pas la merveille de ce que le Seigneur a déjà fait, car la chair ne s’impose pas, Son amour a besoin que mon cœur Le comprenne et puisse librement dire oui à ce qu’Il fait.

Et l’on comprend alors mieux le sens des deux autres lectures. Samuel est un gamin, à une époque où Dieu ne parle pas. Ce sont des choses qui arrivent : il y a des époques où Dieu ne parle pas. Tous nous traversons dans notre vie des périodes où Dieu semble être parti en vacances et ne nous parle plus. Mais en fait, à cette époque où Dieu ne parlait plus, Il parlait à Samuel, et le pauvre Samuel ne savait même pas que c’était Dieu qui s’adressait à lui. C’est aussi une chose qui nous arrive de temps en temps. Et Samuel a peut-être besoin de ces lectures que lui fait le prêtre Elie, Elie qui lui fait comprendre que c’est Dieu qui s’adresse à lui. Nous avons tous besoin de ça. Mais Dieu n’arrête pas de s’adresser à chacun de nous, Il parle en permanence avec chaque homme et avec chaque femme, dit le prophète Osée. Il y a un échange. Mais c’est seulement dans un échange de libertés que je commence à pouvoir accueillir la merveille d’un Dieu impliqué avec moi, car il y a un Dieu impliqué avec moi que je ne connais pas, et dans la délicatesse d’amour qu’Il a pour ma vie j’ai peur et je ferme la porte. Un Dieu qui s’implique avec moi mais qui a besoin de mon libre oui pour déployer mon être, qui a besoin d’une écoute. « Me voici Seigneur, ton serviteur écoute ». Et dans l’Evangile on le voit encore plus profondément. Il ne s’agit pas d’une écoute purement extérieure, il s’agit d’écouter le Seigneur dans les soifs les plus profondes qui nous habitent. Nous entrons dans un second registre, qui est qu’au plus profond de nos soifs il y a déjà Dieu, qu’Il est en train de nous les donner, de les mettre en nous. Après, ça peut prendre la forme de choses qui ne sont pas forcément très évangéliques, d’accord. Mais à la base, c’est Dieu lui-même qui est à la source de mon désir d’amour, de mon désir d’affectivité, de mon désir de communion, de mon désir d’être moi-même, et de mon désir d’être fécond dans la société et pas simplement un anonyme sans aucune répercussion. Ces soifs-là, que nous essayons d’étancher à peu près comme nous pouvons, parfois en se protégeant, parfois en faisant du mal à l’autre, ces soifs-là ont Dieu comme racine. Que cherchez-vous ? Evidemment si je fais des projections sur le Seigneur je ne découvre rien. Evidemment aussi si je suis dans un climat d’amitié, je commence à découvrir que Dieu est un Dieu en ma faveur, qu’Il n’est pas un Dieu qui vient me faire la guerre avec des normes pour m’empêcher de m’épanouir, c’est un Dieu en ma faveur, qui prend plus au sérieux ma vie que moi-même. Que cherchez-vous ? Où demeures-tu. Le Seigneur dira aux disciples un peu plus tard « je vous traite comme des amis » « demeurez en moi comme moi je demeure en vous ».

Comment le Seigneur demeure-t-il en nous ? Il demeure comme l’agneau, qui prend sur Lui tout ce qui ne va pas en nous pour que nous puissions inaugurer aujourd’hui une chair fondée sur la sienne. Amour chaste ? Oui, et chaste n’est pas refoulé. Etre chaste veut dire aimer profondément l’autre pour ce qu’il est et non en fonction de moi. Amour authentique sans peur de l’autre ? Oui. Sans peur ? Pourtant tout le monde me fait peur !... Sans peur... Parce que chaque fois que je désamorce en moi la violence je crée les conditions pour qu’en l’autre aussi la violence soit désamorcée. Mais si elle ne se désamorce pas ? Amour qui traverse la peur de la mort parce que Celui qui nous accompagne a la force de nous faire vivre l’aujourd’hui avec un amour éternel, qui ne passe pas. Evidemment, il faut pour cela un échange cœur à cœur. Et cet échange finit, tout simplement, avec la phrase de Jésus à Simon : « c’est Moi qui te dis ton prénom ». Parce que quand c’est toi qui cherches à décider de ce que tu feras, tu vas te débrouiller avec tes moyens à toi, et en général tu ne déploieras pas ton corps comme je l’ai fait. Laisse-moi te dire quel est ton nom, et tu découvriras que je suis plus impliqué avec toi que ce que tu croyais. Ton nom est : « mon amour pour les hommes ». Le nom de chacun de nous c’est « un autre qui vit en moi » (St Paul). Mon vrai nom est toute la place que je laisse à l’amour du Christ pour qu’Il rejoigne ma chair et mon humanité et me permette de devenir Son témoin. Et je vous assure, ça ne fait pas des copiés-collés, ça fait l’originalité la plus belle de chacun de nous sur la Terre. Amen.